GAZA MEURT DE FAIM
Message de Ziad Medoukh à Gaza le 25 juillet
2025
Après 22 mois de cette agression horrible, la
situation va de mal en pire dans la bande de Gaza.
En plus des bombardements intensifs et
incessants, l'insécurité, les sentiments d'angoisse, de peur, d'inquiétude,
d'attente, notamment dans le nord de la bande de Gaza, une vraie famine
s'installée.
Et moi, personnellement, je vis… Je suis en
train de vivre la détresse totale.
C'est difficile de raconter, de décrire tant
la situation est horrible. Depuis presque deux semaines, il n'y a quasi rien
sur le marché. Les produits sont introuvables et le peu qu’on y trouve, ce sont
quelques pâtes, quelques boîtes de conserve, lentilles, haricots blancs, petits
pois, ça coûte très très cher, des prix impensables.
Je vais tous les jours au marché et je reviens
sans rien. Cela me fait de la peine pour les enfants, pour les gens qui
habitent avec moi. Tout le monde souffre.
Le slogan « Personne ne meurt de la faim à
Gaza » a été remplacé par « Tout le monde crève de faim à Gaza ».
La solidarité familiale et sociale qui a
toujours été un point fort dans l’enclave palestinienne, même assiégée, est
devenue minimale.
En ce qui me concerne, je reste parfois deux
ou trois jours sans rien manger. Je préfère donner un morceau de pain pour mes
enfants au lieu de manger. On est arrivés à une situation catastrophique.
Seuls deux ou trois camions de ravitaillement
passent par jour, destinés aux organisations internationales, organisations qui
mettent leur contenu dans leurs dépôts sous prétexte qu’il n’y a pas assez pour
distribuer à tout le monde. Ces dépôts sont régulièrement attaqués par des
groupes armés ou par des personnes affamées.
Le soir, il y a des groupes armés ou des
personnes affamées qui volent ces denrées alimentaires et les organisations
internationales disent qu'elles ne peuvent rien faire. Je ne sais pas, est-ce
qu'elles ont leurs propres clientèles, ou est-ce qu'elles sont complices de ce
piège mortel, de cette famine utilisée comme arme de guerre par l'occupation ?
Dans les faits, l'occupation a créé deux
centres de distribution gratuite depuis le 27 mai dernier, mais seulement au
sud et au centre de la bande de Gaza. Ces centres sont gérés par une société
américaine, des mercenaires américains complices avec l'occupation.
Les cartons contenant des sacs de farine et de
la nourriture sont jetés hors des camions et quand la population affamée
s'approche pour récupérer quelques sacs ou quelques boîtes de conserve,
l'occupation lui tire dessus.
Depuis le 27 mai jusqu'à fin juillet 2025, il
y a presque eu 1130 morts et 6900 blessés palestiniens. Cela montre que ce plan
de créer ces centres de distribution gratuite, est un piège mortel pour les
Palestiniens de Gaza.
Il y a de plus des commerçants malhonnêtes qui
récupèrent l'aide puis la revende beaucoup plus cher à Gaza ville. Exemple : Si
un sac de farine de 25 kg s’achète 250 € (10 € le kilo) il sera revendu 50 à 60
€ le kilo à Gaza ville. Pour 1 kg de sucre, il faut compter 130 €. 1 kg de riz,
80 € ! Impensable !
Le problème, c'est qu'il n'y a plus ni
autorités, ni gouvernement, ni société civile pour gérer la situation,
organiser le marché et contrôler les prix. Sans prendre en considération les
besoins énormes de toute une population civile, les commerçants décident
eux-mêmes des prix pour profiter au maximum, les augmentent, même si les
produits ont été soit volés, soit récupérés gratuitement, soit achetés à très
bas prix par des personnes qui ont pris de grands risques pour aller les
chercher.
Comment la population survit-elle dans cette
situation extrême ? Personnellement, je souffre et, pourtant, je fais partie de
la classe moyenne.
Avec d’autres habitants, nous avons décidé de
boycotter les commerçants qui profitent, mais jusqu'à quand ?
Je dois nourrir mes enfants, mais c'est trop
cher.
Le soir, quand tout le monde dort, je pleure
pour cacher mon impuissance. C'est la souffrance totale.
Je me pose toujours la question : est-ce que
je suis têtu ? Est-ce que, parce que j'ai refusé de quitter Gaza, j’en paie
aujourd’hui les conséquences ? Je ne sais pas. Mais c'est difficile de
raconter, de décrire ma détresse totale, mon incapacité d’agir dans cet enfer,
parce que c'est l'impuissance totale.
Et pourtant, moi, je suis privilégié parce que
j'ai des amis, j'ai des réseaux. Je parle avec une dizaine de personnes par
jour sur Internet. On échange, on discute, ils me soulagent, m'envoient des
photos, des vidéos de la solidarité.
Je suis actif dans la société civile, j'essaye
de soulager la douleur des enfants, leur peine d’être privés de tout en
organisant des activités, en distribuant des jeux, mais à l'intérieur de
moi-même, trop, c'est trop. Je souffre au quotidien.
Je
suis malade, je n'arrive pas à me soigner. Il n'y a pas d'hôpitaux, il n'y a
pas de médicaments, il n'y a pas de laboratoire, donc la situation est terrible.
Je ne sais pas quoi faire. Le sentiment
d’impuissance et horrible. Et pourtant, comme je viens de le dire, moi j'ai un
réseau, je parle avec les gens... J'essaye de passer beaucoup de temps en
écrivant, en témoignant, en échangeant avec les amis, les solidaires, mais
trop, c'est trop.
Néanmoins, pour une fois, j’ai décidé de
laisser tomber mon orgueil, et j’ai demandé de l’aide par l’intermédiaire de
quelques amis français, suisse ou belges ayant des liens avec des structures
qui financent des associations à Gaza. Ces associations prétendent distribuer
de la nourriture à des centaines de familles dans la ville de Gaza et envoient
des photos et des vidéos de leurs actions tous les jours sur les réseaux. J’ai
demandé un peu de nourriture pour ma famille et moi, ainsi que pour les
déplacés de mon immeuble.
La réponse des associations est qu’elles ne
peuvent rien fournir car tout est cher. Mais comment font-elles alors pour
nourrir des centaines de familles comme elles le prétendent, photos et vidéos à
l’appui ? Pourquoi ne peuvent-elles pas m’envoyer quelques denrées alimentaires
ou des repas chaud ?
On sent que tout le monde est complice pour
briser la volonté de la population civile déjà épuisée et horrifiée.
Imaginez-vous, les gens sont en train de
tomber dans la rue. Souvent, quand je sors le matin pour chercher de l'eau
potable, du bois ou de la nourriture, je vois des jeunes - je ne parle ni des
enfants ni des personnes âgées - mais des jeunes de 20 à 25 ans qui tombent
dans la rue parce que ça fait plusieurs jours qu'ils n'ont pas mangé.
Jusqu’à jeudi 24 juillet 2025, 115
palestiniens dont 85 enfants sont morts à cause de la malnutrition.
Il n'y a rien, il n'y a rien dans le nord, il
n'y a rien dans la ville de Gaza, tout est très cher. Jusqu'à quand va-t-on
pouvoir supporter l'insupportable ? On est toujours là, on essaye de tenir bon,
on essaie de montrer qu'on est fort, mais trop c'est trop.
Quel que soit le témoignage, la réalité est
plus dure que les photos et les vidéos envoyées sur les réseaux sociaux.
Il n’y a pas que la famine qui rend la vie
insupportable à Gaza. Les bombardements incessants minent le moral des
habitants qui ne savent plus où trouver de l’espoir.
Voilà ce que je voulais partager avec les
amis. Peut-être que cela va me soulager un peu…